L’avenir des vins doux et fortifiés
Créer un débat autour de la catégorie des produits doux et fortifiés
En septembre 2022, le Concours Mondial de Bruxelles a organisé sa toute première session de vins doux et fortifiés à Marsala (Sicile), présentant des vins doux et fortifiés historiques du monde entier.
L’objectif de la session vins doux et fortifiés du Concours Mondial de Bruxelles n’est pas seulement de récompenser l’excellence dans la fabrication de ces vins, mais aussi de sensibiliser et de susciter des discussions sur style bien particulier. Ainsi, une table ronde a été organisée, avec des intervenants de différents pays qui ont partagé leurs points de vue sur le sujet devant un public de juges internationaux, de sponsors et d’hôtes.
Le débat intitulé « Remettre les vins doux et fortifiés à l’honneur : comment stimuler la catégorie des vins doux et fortifiés » a été animé par le sommelier italien Alessandro Rossi (National Category Manager—Wine, Partesa srl), en reconnaissance du besoin urgent de préserver et de promouvoir les vins doux et fortifiés. Les quatre intervenants se sont penchés sur les façons traditionnelles de déguster ces produits historiques et ont discuté de la manière de les rendre plus pertinents pour les buveurs de vin du XXIe siècle. Les sujets et les idées partagées sont résumés ci-dessous.
Les quatre intervenants de la table ronde étaient :
– Paula Sidore (américaine : cofondatrice de Trink et spécialiste des vins allemands pour JancisRobinson.com, basée en Allemagne).
– Mattia Antonio Cianca (Italien : Meilleur Sommelier d’Italie 2019, Meilleur Sommelier d’Australie 2017, importateur et distributeur, basé à Bordeaux)
– Nathan Menou (français : directeur du 5 Wine Bar, élu meilleur bar à vin du monde et meilleur bar à vin d’Europe, basé à Toulouse)
– Mathilde Hulot (française : rédactrice pour Bettane+Dessauve et autres, productrice de vin à Tokaj avec son mari Samuel Tinon, basée en Hongrie)
Tous les vins doux ne sont pas égaux
La session 2022 du Concours mondial de Bruxelles des vins doux et fortifiés a enregistré 525 inscriptions en provenance de pas moins de 20 pays, dont l’Espagne, l’Italie, la France, le Portugal, l’Autriche, l’Allemagne, la Hongrie, la Grèce et l’Australie, qui étaient solidement représentés. Plus étonnant des inscriptions d’origines aussi diverses que la Chine et le Chili, le Mexique et la Moldavie, l’Équateur et l’Arménie ont été enregistrés.
Comme l’a souligné le jury, presque tous les pays qui produisent des vins secs produisent également des vins doux : la variété est étonnante, tout comme la diversité des méthodes de production. Les classer tous sous la rubrique des vins doux et fortifiés est trompeur, car certains sont plus difficiles et plus coûteux à produire que d’autres. Les vins de Sauternes, Tokaj et Trockenbeerenauslese sont élaborés à partir de raisins noblement pourris. Leur production est coûteuse et dépend fortement de la nature, et comporte des risques énormes ; certaines années, il n’y a pas de récolte. Une suggestion a été faite, à savoir, faire la distinction entre les vins botrytisés, et les autres vins doux.
Une catégorie avec un problème d’image
Un intervenant du panel a rapporté qu’en France, les vins à sucre résiduel sont parfois perçus comme démodés et déséquilibrés, ce qui rend difficile le recrutement de consommateurs dans une catégorie qui vieillit. Bien que les Premières Grives du Domaine Tariquet aient contribué à démocratiser la consommation de vins doux et simples, d’un autre côté, elles ont associé la production de vins doux à une image de volume élevé, industrielle et de faible qualité qui est préjudiciable.
Pendant ce temps, les producteurs de Sauternes ont largement communiqué sur d’autres façons de consommer leurs vins (par exemple, dans des cocktails ou avec de l’eau tonique). La cuisine d’aujourd’hui est de plus en plus créative, et les sommeliers ont plus de liberté dans leurs accords mets et vins. Le monde de la mixologie pourrait apporter des réponses : des exemples ont été cités de tutoriels et d’accords vermouth et vins fortifiés organisés avec des organisations professionnelles et des restaurants partenaires, dans le but de moderniser l’image de certains vins fortifiés.
Communication et marketing
Il a été suggéré que la complexité — et dans certains cas la rareté — de ces vins devrait être considérée comme une force plutôt que comme une faiblesse. « La connaissance, c’est le pouvoir, et lorsqu’on parle au grand public, on se rend compte qu’il en sait très peu », a déclaré un intervenant. La confiance des consommateurs peut être gagnée en partageant des informations de base sur l’origine et la production, avant de passer à des styles plus aventureux.
Un point important a été soulevé et réitéré par plusieurs panélistes. Par son nom même, le vin doux est défini par ses attributs sucrés plutôt que par son esthétique. Un vin réussit lorsqu’il est commercialisé pour ce qu’il est dans son ensemble, plutôt que pour un seul élément, il faut donc mettre l’accent sur l’équilibre. Il a été estimé que les vins doux devraient être définis par plus que leur sucre (par exemple, la tradition, le style, l’occasion) — « commercialiser l’occasion, plutôt que le sucre ». En se concentrant sur le style, on peut encourager les consommateurs à comprendre et à apprécier la tradition, et à accepter la douceur comme faisant partie de l’ensemble. L’astuce consiste peut-être à amener les gens à penser au-delà du sucre : on a perçu le besoin de communiquer davantage sur le patrimoine et moins sur le sucre résiduel.
Un appel a également été lancé pour que l’on abandonne l’expression « vin de dessert », qui ne rend pas service à la catégorie. Les vins doux ne doivent pas être relégués à la fin d’un repas, lorsque les appétits et les palais sont déjà rassasiés. Ces vins peuvent être dégustés avec des entrées et des plats principaux, en plus du dessert. Certains peuvent faire d’excellents apéritifs ou boissons d’après-dîner. Un intervenant a souligné qu’au sein de ce qui est un marché de niche, il faudrait s’orienter vers la production de vins de meilleure qualité, avec un meilleur marketing et en mettant davantage l’accent sur la rareté et la valeur.
Œnotourisme et organismes professionnels
Les panélistes ont discuté du rôle que l’œnotourisme peut jouer dans le cadre d’une stratégie marketing visant à promouvoir les vins doux et les vins fortifiés. Ils ont convenu que lorsque les consommateurs ont visité une région et se sont renseignés sur son climat et son histoire, ils sont plus susceptibles de comprendre et d’apprécier un style de vin particulier.
L’un des problèmes soulevés est le fait que les entreprises qui peuvent se permettre d’entreprendre ce type d’activité marketing sont souvent celles qui produisent des vins de qualité et de quantité industrielles, ce qui va à l’encontre des valeurs des exploitations artisanales de taille plus modeste. En conséquence, il a été estimé que les organismes professionnels devraient mettre en valeur les vins artisanaux dans leurs projets d’œnotourisme, en mettant l’accent sur la tradition et l’histoire plutôt que sur les niveaux de sucre. En ce qui concerne les organismes de règlementation et leur rôle, il a été suggéré de former les viticulteurs aux techniques de fortification afin de maintenir la tradition en vie (des subventions pourraient-elles être accordées pour encourager la production ?) et d’envisager de réduire les règles et règlementations qui peuvent être dissuasives.
La campagne de marketing britannique entreprise par le conseil de règlementation des vins de Xérès a été citée comme un exemple de la manière dont ce vin particulier a été repositionné comme une option plus polyvalente, s’éloignant de son image traditionnelle de boisson d’avant repas.
Accords mets et vins
Un intervenant a révélé qu’il aimait créer des accords mets et vins avec des correspondances improbables, en brisant les idées préconçues et en défendant la créativité : « Alors qu’un vin fortifié (oxydatif ou non) peut être associé à un dessert ou à un fromage bleu ou affiné, pour faciliter son passage à la table à manger et vraiment impressionner, il faut un accord avec une viande blanche ou un poisson. Le gras de la viande ou la salinité du poisson contrebalancerait et ferait un merveilleux mariage avec leun vin doux ou fortifié. »
Un autre intervenant a mentionné l’association d’un auslese vieilli avec des joues de bœuf braisées, ou de côtes épicées ou de poitrine de porc avec un spätlese, suggérant que le sucre fonctionne à peu près comme le sel en termes d’accords alimentaires.
En effet, les vins doux et fortifiés peuvent améliorer les accords mets-vins grâce à leur acidité, leur alcool, leur glycérol et leurs protéines qui permettent d’équilibrer certains plats. La tension entre le liquide et le solide devient plus prononcée, et selon le vin, des arômes, des saveurs et des textures extraordinaires peuvent ajouter une autre dimension à l’expérience.
Les portions individuelles et l’horeca
Les panélistes ont ensuite évoqué l’opportunité pour les points de vente on-trade de vendre du vin au verre : « De nos jours, il est difficile de vendre une bouteille de vin doux ou fortifié à des convives qui ne sont pas des amateurs de vin. La vente au verre peut donc être une stratégie viable, à condition qu’elle soit soutenue par le travail du sommelier, du barman ou d’un autre membre du personnel », a commenté l’un d’eux.
De même, les systèmes de distribution comme le distributeur de vin Enomatic offrent une variété de tailles de versements, en mode libre-service. Bien que ces machines représentent un investissement financier important, elles permettent aux bars et aux restaurants de proposer une variété de vins qui peuvent être conservés pendant environ trois semaines. Le conférencier Nathan Menou a expliqué que le 5 Wine Bar propose une sélection éclectique de vins doux afin de permettre aux clients de découvrir de nouvelles sélections. Chaque bouteille est accompagnée de quelques lignes d’information sur les arômes, la texture et l’intensité (sur une échelle de 1 à 3). Les bouteilles plus chères/rare/privées sont accompagnées de notes techniques et/ou d’anecdotes afin de séduire les amateurs de vin.
Modernisation de l’emballage et du produit
Les intervenants ont reconnu que les bouteilles en verre de 50 cl et 37,5 cl sont bien adaptées au service à table — et que certains formats ont contribué à créer l’identité de régions spécifiques — mais pourquoi s’arrêter là ? L’idée a été émise d’utiliser des boîtes en grès, en terre cuite ou même en aluminium (qui progressent actuellement grâce à la bière artisanale), en mettant les producteurs au défi de combiner la tradition avec la modernité, et en encourageant les législateurs du commerce du vin à accompagner ce changement.
Dans le même ordre d’idées, il a été suggéré pour séduire un public plus moderne, que les produits doivent être alignés sur les modes de vie contemporains, par exemple des vins faciles (ou plus faciles) à boire, fruités, subtilement épicés ou floraux, avec moins d’alcool. Le défi consiste à évoluer en proposant des profils plus modernes sans détruire l’identité qui a fait la renommée mondiale de ces vins. En ce qui concerne l’attraction des consommateurs, il a été observé que de nombreux nouveaux buveurs de vin apprécient en fait les vins doux avant de passer à des styles plus secs — les amateurs plus engagés ont tendance à assimiler les vins secs à l’expérience, ou les vins doux à un manque d’expérience — ce qui signifie que le problème n’est pas de recruter des buveurs dans la catégorie, mais de les retenir…
Les résultats de la session 2022 du Concours Mondial de Bruxelles des vins doux et fortifiés sont disponibles ici : https://resultats.concoursmondial.com/en/results